Diviser pour régner : quand les éoliennes débarquent en campagne

Reportage publié par Pivot, le 14 juin 2023.

Le développement de l’industrie privée des éoliennes place les municipalités et les gens les uns contre les autres.

Dans les rangs de la MRC de Nicolet-Yamaska, dans le Centre-du-Québec, des prospecteurs sillonnent le territoire à la recherche de terrains pour placer des éoliennes, dans le cadre d’un grand appel d’offres lancé par Hydro-Québec. Citoyen·nes et élu·es s’inquiètent de la précipitation avec laquelle le projet est mené. De plus, la compétition et les dissensions entre MRC, entre municipalités et entre individus risquent de fracturer le tissu social de ces communautés.

La municipalité régionale de comté (MRC) de Nicolet-Yamaska fait partie des zones admissibles dans le cadre d’un appel d’offres pour la production de 1500 mégawatts (MW) d’électricité renouvelable lancé par Hydro-Québec à la fin mars 2023.

La date limite pour déposer les soumissions dans le cadre de cet appel d’offres est le 12 septembre. Les promoteurs doivent obtenir la copie d’une résolution du milieu local (MRC, municipalité ou Première Nation) où leur projet serait situé.

Peu de temps après le lancement de l’appel d’offres d’Hydro-Québec, Richard Langelier commence à recevoir des appels de citoyen·nes et d’élu·es de sa région inquiets des nuisances possibles.

M. Langelier a été très impliqué dans la mobilisation citoyenne contre les gaz de schiste. Juriste, il est l’auteur du règlement dit « de Saint-Bonaventure », qui visait la protection de l’eau en imposant des distances séparatrices entre les sources d’eau potable et l’exploration gazière. Il est toujours actif au sein du Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec, un regroupement de plus de 150 scientifiques.

Comme des promoteurs de gaz de schiste

Ce qu’il constate actuellement, c’est que les promoteurs d’éoliennes agissent « à peu près comme les promoteurs de gaz de schiste, c’est-à-dire qu’avant même d’aller voir les élus municipaux, ils vont voir des cultivateurs, ils leur offrent des montants d’argent appréciables s’ils acceptent de mettre une éolienne sur leur territoire ». 

Cette façon de faire rend plus difficiles la concertation et la planification locale, selon les personnes rencontrées. Au lieu de passer par une prise de décision collective, la décision sur l’emplacement des éoliennes repose sur le bon vouloir de chaque propriétaire.

La mairesse de Sainte-Monique, Denise Gendron, a été témoin de cette manière de procéder. Les approches auprès des propriétaires locaux se sont faites à l’insu de la municipalité.

La MRC de Nicolet-Yamaska, où est située Sainte-Monique, a été approchée par des entreprises un peu avant le lancement de l’appel d’offres, mais les projets dont la mairesse Gendron entendait parler étaient situés à l’extérieur de sa municipalité. 

Un jour, un agriculteur l’appelle pour l’aviser qu’une entreprise sollicite des cultivateur·trices pour leur faire signer des contrats permettant l’utilisation de la terre une fois le projet d’éoliennes mis en branle. « C’est là que j’ai su qu’il y en avait qui s’en venaient à Sainte-Monique, sans avoir été contactée par la compagnie », rapporte la mairesse.

C’est la municipalité qui a finalement contacté l’entreprise pour lui demander de venir expliquer le projet, ce qu’elle a fait.

Le risque de fracture sociale

Les agriculteurs qui acceptent de signer une entente avec un promoteur privé reçoivent un bonus à la signature et la promesse de redevances annuelles si le projet va de l’avant. « Il y a des agriculteurs qui ont signé et qui s’attendent à avoir ce revenu-là », explique la mairesse de Sainte-Monique.

« C’est exactement ce qui va se passer dans les villages. Si nos communautés sont divisées, si c’est la chicane, ça va pourrir la vie de tout le monde, cette histoire-là »,Richard Langelier, du Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec

Mais le projet ne fait pas l’unanimité. Certain·es citoyen·nes de la région ont créé un comité et commencé à faire circuler une pétition demandant à la MRC d’imposer un moratoire sur la prospection et la signature d’ententes. Les auteur·es de la pétition souhaitent une réflexion collective sur l’implantation de projets éoliens dans la région.

Pour Denise Gendron, il est important que la population ne se divise pas. « Ce qui me fait peur, c’est la fracture sociale », dit-elle. « Ceux qui ont signé, il ne faut pas les ostraciser. Ceux qui ont signé, ils ne doivent pas mépriser ceux qui posent des questions. On doit rester une municipalité unie. »

Richard Langelier a vu des communautés déchirées par les projets d’exploration de gaz de schistes. « C’est exactement ce qui va se passer dans les villages. Si nos communautés sont divisées, si c’est la chicane, ça va pourrir la vie de tout le monde, cette histoire-là », dit-il.

Compétition entre municipalités et entre MRC

« Toutes les municipalités du Québec sont aux prises avec des problèmes financiers », dit Richard Langelier.

« Au lieu de construire une solidarité entre les MRC, on est dans la compétition. »Denise Gendron, mairesse de Sainte-Monique

Le décret gouvernemental encadrant le projet de développement éolien prévoit un versement annuel, de la part des promoteurs privés, de 6 227 $ aux collectivités locales pour chaque mégawatt installé sur leurs territoires. « Les municipalités sont très désireuses, et on peut le comprendre, de rechercher [ces] revenus supplémentaires », ajoute-t-il. 

C’est quoi un watt ? (What is a watt?)

La puissance, mesurée en watts (W), représente la demande en énergie à un moment précis. Un watt est l’équivalent du transfert d’un joule (une mesure de l’énergie) en une seconde.

Nos appareils ont des puissances variables. Prenez les ampoules par exemple : l’une aura une puissance de 100 watts, alors qu’une autre, qui éclaire moins, aura une puissance de 40 watts. Un kilowatt (kW) équivaut à mille watts un mégawatt (MW), c’est un million de watts et un térawatt (TW), c’est mille milliards de watts.

Alors que la puissance est mesurée en watts, l’énergie consommée est mesurée en kilowatt-heure (kWh), soit la puissance en watts multipliée par le temps en heures. Une ampoule de 100 watts qui est allumée durant 10 heures va donc consommer 1 kWh. C’est le kWh utilisé qu’Hydro-Québec nous facture chaque mois.

« On a instauré un climat de rivalité entre les municipalités pour voir laquelle va signer le plus rapidement. Laquelle va baisser les conditions pour que les promoteurs soient plus intéressés », se désole le juriste.

La mairesse de Sainte-Monique s’inquiète aussi de tensions entre les MRC. « Il y a d’autres MRC autour [de Nicolet-Yamaska] qui peuvent [participer au projet] », explique Denise Gendron. « Elles vont soumissionner sur le projet elles aussi. Au lieu de construire une solidarité entre les MRC, on est dans la compétition. Je trouve ça plate. »

Pour Richard Langelier, il est impératif que les MRC de la région se rencontrent afin d’élaborer une façon de faire qui serait commune.

L’éolien, oui, mais « pas à n’importe quelle condition »

« La plupart des gens sont favorables aux éoliennes. Cependant, ils ne sont pas favorables à [ce que ça se fasse à] n’importe quelle condition », ajoute-t-il.

« Oui, ultimement, on aura besoin de l’éolien pour pallier la demande [d’électricité], pour répondre aux besoins en termes de décarbonation », affirme Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace Canada. Par contre, bien que ces besoins soient importants, il juge important que ce développement ne se fasse pas de façon chaotique.

Le développement de l’énergie éolienne doit se faire par et pour les communautés, selon lui. « Ça prend une vision de développement régional qui s’insère dans des objectifs nationaux », dit-il.

Il faut à tout prix éviter « du cas par cas, où les producteurs agricoles, les propriétaires, se retrouvent à faire des ententes rapidement avant qu’on ait cette vision collective là », ajoute-t-il.

L’entraide comme facteur d’évolution de l’industrie éolienne

L’industrie de l’énergie éolienne est en expansion au Québec. Le gouvernement a déjà évoqué son intention de quadrupler la capacité de production éolienne.

Ce développement est principalement effectué par des entreprises privées, qui répondent à des appels d’offres lancés par Hydro-Québec. Ces entreprises vendent ensuite l’électricité produite à la société d’État. Questionné récemment sur la possibilité de nationaliser l’industrie éolienne, le ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon a avoué qu’il avait une préférence pour le privé.

Il existe toutefois quelques exceptions à ce modèle privé.

Dans l’est du Québec, les projets éoliens sont gérés par l’Alliance de l’énergie de l’Est, formée de 16 MRC, de Montmagny aux Îles-de-la-Madeleine, et de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. L’Alliance investit 50 % des sommes requises dans les projets et répartit les bénéfices de façon équitable entre ses membres. De plus, cette façon de procéder permet aux localités de dicter les conditions d’implantation des projets éoliens.

Un autre modèle est celui du parc éolien Pierre-De Saurel, situé dans la MRC du même nom, en Montérégie. Ce parc éolien est détenu à 100 % par la MRC. C’est elle qui a construit et qui opère le projet et c’est aussi elle qui récolte l’entièreté des revenus.

L’entraide comme facteur d’évolution de l’industrie éolienne

L’industrie de l’énergie éolienne est en expansion au Québec. Le gouvernement a déjà évoqué son intention de quadrupler la capacité de production éolienne.

Ce développement est principalement effectué par des entreprises privées, qui répondent à des appels d’offres lancés par Hydro-Québec. Ces entreprises vendent ensuite l’électricité produite à la société d’État. Questionné récemment sur la possibilité de nationaliser l’industrie éolienne, le ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon a avoué qu’il avait une préférence pour le privé.

Il existe toutefois quelques exceptions à ce modèle privé.

Dans l’est du Québec, les projets éoliens sont gérés par l’Alliance de l’énergie de l’Est, formée de 16 MRC, de Montmagny aux Îles-de-la-Madeleine, et de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. L’Alliance investit 50 % des sommes requises dans les projets et répartit les bénéfices de façon équitable entre ses membres. De plus, cette façon de procéder permet aux localités de dicter les conditions d’implantation des projets éoliens.

Un autre modèle est celui du parc éolien Pierre-De Saurel, situé dans la MRC du même nom, en Montérégie. Ce parc éolien est détenu à 100 % par la MRC. C’est elle qui a construit et qui opère le projet et c’est aussi elle qui récolte l’entièreté des revenus.

Des communautés peu outillées pour mettre des balises

La mairesse de Sainte-Monique explique que sa municipalité doit changer les règlements de zonage pour permettre l’implantation des éoliennes. La MRC lui a proposé un modèle de règlement, « mais c’est à nous de mettre les distances qu’on juge appropriées », explique Mme Gendron.

« Sauf que ce n’est pas facile de décider entre 900 ou 1500 mètres, comme c’est fait dans certains endroits. On n’a pas de formation pour ça ». 

Denise Gendron donne l’exemple des puits individuels, qui sont la source d’eau pour une grande partie des résident·es de sa municipalité. « On ne sait pas [si la distance proposée par la MRC] est assez pour les protéger », dit-elle. « C’est gros, décider pour l’avenir des puits des gens. »

Elle évoque également les risques d’éboulements. « On est sur le bord d’une rivière et il y a très souvent des décrochages, des éboulis », explique-t-elle. Elle se questionne donc sur la distance sécuritaire entre une éolienne et les berges. Cette considération n’est pas abordée dans la proposition de règlement que la MRC lui a fournie.

« Pourquoi se précipiter ? » demande Richard Langelier. « Une fois que l’éolienne est érigée, on ne jouera pas avec ça. On ne la démanchera pas pour la refaire un kilomètre plus loin. Il faut être prudent, parce que [l’éolienne] va durer 30 ans », ajoute-t-il.

Richard Langelier et le Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques prévoient tenir des séances publiques d’information. « On va essayer d’informer le mieux possible les citoyens dans le délai qui nous est imparti », dit-il. « On n’a pas beaucoup de temps ».

Approbation sans condition

L’une des entreprises dans la course pour l’appel d’offres est Innergex. Au début mai, celle-ci a remis une proposition de motion à faire adopter à une municipalité située dans la MRC de Nicolet-Yamaska, dont Pivot a obtenu copie. On peut y lire que la municipalité « appuie favorablement et sans condition le projet d’implantation d’un parc éolien d’Innergex énergie renouvelable inc. sur son territoire ». 

Contacté par Pivot, le directeur du développement d’Innergex, Luc Leblanc, a expliqué que ce libellé était celui utilisé par la compagnie lors des appels d’offres antérieurs d’Hydro-Québec et qu’il ne figurait plus sur les documents fournis par l’entreprise aux municipalités. 

En effet, lors des appels d’offres antérieurs, Hydro-Québec exigeait que les soumissionnaires fournissent une résolution du conseil « appuyant inconditionnellement le projet sur son territoire » [section 2.3.6.1].

Cette exigence minimale a été modifiée. Hydro-Québec demande maintenant une preuve de l’appui des communautés, mais celui-ci peut prendre la forme d’un « appui de principes » et la société d’État ajoute que « les parties n’ont pas à convenir de l’ensemble des modalités d’appui pour le dépôt des soumissions ».

Le porte-parole de l’entreprise affirme que les nouvelles propositions de motion soumise aux municipalités n’ont plus ce libellé. La municipalité, quant à elle, dit ne pas avoir reçu de proposition de motion mise à jour.

L’efficacité énergétique avant l’augmentation de la production

« On a eu une gestion atroce de l’approvisionnement [énergétique] au cours des dernières années », affirme Patrick Bonin de Greenpeace.

De plus, selon lui, le véritable cheval de bataille dans la transition écologique est l’augmentation de l’efficacité énergétique et non simplement la croissance de la production électrique.

« Il faut calmer le jeu et ne pas se servir du prétexte d’une urgence créée de toute pièce — et qui est la résultante d’une mauvaise planification — pour prendre de mauvaises décisions alors qu’il s’agit de notre avenir énergétique. »Patrick Bonin, Greenpeace Canada

L’efficacité énergétique est l’ensemble des mesures qui entraînent une diminution de la consommation pour une même quantité d’activités : améliorer l’isolation des bâtiments, utiliser des thermostats intelligents, utiliser des thermopompes avec des accumulateurs de chaleur.  

« Il faut calmer le jeu », estime Patrick Bonin, « et ne pas se servir du prétexte d’une urgence créée de toute pièce — et qui est la résultante d’une mauvaise planification — pour prendre de mauvaises décisions alors qu’il s’agit de notre avenir énergétique. »

Pour l’écologiste, il faut maximiser le potentiel des sources d’énergie existantes avant d’envisager d’augmenter la production. « Il faut travailler sur la réduction de la consommation, à commencer par les grands consommateurs », dit-il.

Pour lui, les municipalités ont un rôle à jouer et doivent être vigilantes « pour éviter que le privé mène le bal avec des intérêts qui souvent ne vont pas concorder avec les intérêts de la communauté ou la protection de l’environnement ».


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