De la démocratie en Nicolet-Yamaska

Lettre ouverte de Richard E. Langelier, Docteur en droit (LL.D.) et sociologue.

« […] C’est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science. Elles les mettent à la portée du peuple et l’habituent à s’en servir. Elles lui en font goûter l’usage paisible. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. »
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (tome 1)

Cette citation du grand auteur français qui avait compris l’importance du pouvoir municipal (appelé en France communal), rappelle comment démocratie et municipalité doivent se marier, se conjuguer afin que la population décide vraiment de son avenir, de son développement, de son environnement.

Rappelons pour mémoire que depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, le droit du public à l’information impose aux administrations publiques, y inclus les institutions municipales, une obligation de publicité et de transparence dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. C’est ainsi que toute mesure limitant la publicité des débats et l’accès du public à l’information doit pouvoir se justifier eu égard aux nouveaux droits constitutionnels.

Ce haut standard est-il atteint dans la MRC de Nicolet -Yamaska ? Il est permis d’en douter quand on examine avec objectivité le comportement du conseil des maires dans le dossier de l’implantation d’un parc éolien sur le territoire de la MRC. Nous allons donc nous pencher sur la façon dont la direction de la MRC a géré ce dossier.

Selon les informations transmises par plusieurs élu.e.s siégeant à la MRC, les discussions relatives aux éoliennes ont débuté à l’automne 2022. Pour l’essentiel, ces discussions se sont tenues dans le confort de la confidentialité. Un voyage en France a même été initié à cette époque, mais semble-t-il, sans que des rencontres soient tenues avec des élu.e.s français vivant avec des éoliennes sur leur territoire. Compte tenu qu’il s’agissait alors d’un dossier majeur dans la MRC, cette situation est pour le moins étonnante. La population fut d’ailleurs alors tenue à l’écart de cette initiative dont elle apprendra l’existence bien plus tard.

Par ailleurs, jamais la MRC n’a formalisé dans une résolution son engagement dans le dossier des éoliennes. Certes, le plan de développement de la MRC prévoyait une implication éventuelle dans la production d’énergies propres, mais ce n’était guère suffisant ou explicite pour justifier la décision de faire des éoliennes le moyen de cet engagement.

Alors que des discussions s’enclenchent à l’interne sur la répartition des revenus, que des scénarios de déploiement du parc éolien sont élaborés et que des rencontres avec les promoteurs sont tenues à l’externe, c’est le silence des cimetières. Et pendant ce temps, des agriculteurs signent des contrats sans que la plupart des conseils municipaux ne soient jamais mis au courant. Les premiers articles des médias ne paraissent qu’en janvier 2023. Il faudra donc attendre en avril pour qu’une rencontre semipublique soit tenue. Et face aux premières expressions négatives, face aux interrogations nombreuses, la préfète de la MRC, Mme Geneviève Dubois, y va d’une charge à fond de train contre une conseillère municipale qui pose des questions jugées trop embarrassantes.

La première rencontre véritablement publique a lieu en mai 2023 alors que plus de 200 personnes participent, à l’invitation d’un comité de citoyens et non sur démarche des élu.e.s, à la rencontre publique du conseil des maires de la MRC. Ce même comité de citoyens récemment formé doit même exiger la formation d’un comité dont la mission serait d’engager la population dans une réflexion collective sur l’implantation d’une industrie éolienne dans la MRC Nicolet Yamaska. La panique semble s’emparer des élu.e.s devant les demandes formelles des citoyens et citoyennes d’obtenir un minimum d’informations sur les enjeux du projet, la MRC demande aux municipalités de tenir, toute la même soirée et avec moins d’une semaine d’avis, des rencontres d’information. On exigera même des preuves de résidence afin d’éliminer la possibilité d’un débat réellement public. Or, les élu.e.s locaux maîtrisent fort mal le dossier se montrant souvent incapables de répondre aux questions, ne peuvent donner aucun détail sur le financement du projet se contentant de répéter les informations peu objectives transmises par les promoteurs.

En désespoir d’obtenir des informations crédibles, le comité de citoyens qui ne s’oppose au projet que dans le contexte d’un manque flagrant d’informations, organise une conférence de presse où sont mises en lumière les carences informationnelles. Le comité suggère aussi aux élu.e.s de faire un pas de côté en adoptant un règlement qui prévoit expressément un processus d’acquisition des connaissances nécessaires à une décision éclairée et une consultation étendue. Malgré le fait que ce règlement ait été envoyé à l’attention de l’ensemble des élus de la MRC, la majorité des conseiller.e.s ignorent encore son existence, car un boycott semble être en cours.

La MRC s’entête et exprime la volonté de réaliser un sondage pour établir l’acceptabilité sociale du projet dont les citoyens ne connaissent que bien peu de choses. Ce raccourci invraisemblable et de peu de crédibilité se conjugue avec la volonté d’obtenir de l’aide extérieure pour acquérir l’aval des citoyens.

Le 29 juin, le comité de citoyens organise une grande assemblée publique où près de 300 personnes viennent exprimer leurs inquiétudes ou leurs oppositions au projet. En réponse, la MRC organise avec l’UMQ (dont peu de municipalités locales sont membres) une rencontre avec des élu.e.s de la Gaspésie où des éoliennes sont installées, mais sur des terres publiques et des territoires non habités. La préfète de la MRC de Nicolet-Yamaska se plaint, à plusieurs reprises, de la force de l’opposition, mais refuse d’examiner son propre comportement et celui de la MRC dans le développement du projet.

Bref, le discours public et le discours privé des représentants de la MRC diffèrent largement. Dans un cas, il s’agit d’un discours prudent et pondéré qui exprime que la MRC veut prendre tout le temps nécessaire à l’examen du projet et dans l’autre cas, c’est un discours qui exprime la hâte et la précipitation voulant forcer le jeu et obtenir un consentement des administrés par un ensemble de mesures, mais sans l’information nécessaire aux citoyens pour prendre une telle décision.

Le comité de citoyens multiplie alors les initiatives afin d’informer adéquatement la population (diffusion d’un film sur l’expérience française et les problématiques que les éoliennes ont suscitées dans ce pays, rencontres numériques avec une auteure qui a colligé une preuve empirique sur les conséquences en termes de santé de l’installation des éoliennes, rencontres avec des élu.e.s pour discuter des lacunes actuelles du projet).

De guerre lasse et devant l’incapacité d’obtenir des élu.e.s le blanc- seing recherché, la direction de la MRC sans aucun vote des élu.e.s , décide de ne pas participer au présent appel d’offres d’HydroQuébec, mais affirme sa volonté de poursuivre le projet se plaçant ainsi dans la position d’un vendeur qui n’a pas encore réussi à convaincre son client de la qualité de son produit…

Car, faut-il le rappeler, ce projet met en cause le paysage, formateur de l’identité régionale, des nuisances dont l’étude n’est même pas entreprise, un endettement considérable de l’instance régionale MRC!

Je n’ai fait ici que rappeler les éléments les plus significatifs de la chaîne des événements survenus dans le déploiement du projet de parc éolien.

Cependant, malgré le caractère par trop sommaire de cet exposé, il me semble bien évident que le droit du public à l’information a été violé et que la garantie constitutionnelle en faveur de la liberté d’expression fut clairement mise de côté.

Pire, qui plus est, il est évident que ces accrocs à la démocratie s’inscrivent dans des pratiques politiques et administratives qui systématiquement conduisent au même résultat.

Pour cette MRC, la confidentialité est la règle et le caractère public des délibérations est l’exception.

D’où les attaques furieuses contre les élu.e.s qui « refusent de marcher du même pas » que la direction de la MRC.

D’où le fait que les décisions soient prises réellement en caucus confidentiel bien qu’elles soient ensuite adoptées publiquement.

D’où l’engagement de confidentialité qu’on a exigé que les élu.e.s signent, forme ubuesque et caricaturale de cette politique.

À y regarder de plus près, on a l’impression d’un club privé qui consent à faire un petit spectacle public pour satisfaire aux exigences d’un metteur en scène imposant une apparence de fonctionnement démocratique.

Chose certaine, l’écart qui sépare aujourd’hui le « le pays légal du pays réel » n’a jamais été aussi grand.

En regard du projet éolien, il faut encore rappeler le climat de corruption morale qui émerge du comportement actuel des dirigeants de la MRC Nicolet-Yamaska. En fait, en ne s’assurant pas qu’aucun élu ne signe un contrat avec les promoteurs, la direction de la MRC a ouvert toute grande la porte au conflit d’intérêts et à l’apparence de conflit d’intérêts sapant ainsi la confiance que le public doit avoir envers les institutions locales et à la déconsidération de toute l’administration municipale.

Quand on voit dans plusieurs municipalités des situations inacceptables.

Quand on voit le maire d’une municipalité continuer de siéger alors qu’il est en conflit d’intérêt évident puisque son patrimoine est en cause ayant signé pour une éolienne invoquant que l’éolienne est située dans le territoire d’une municipalité voisine.

Quand on voit un grand nombre de conseillers dans plusieurs municipalités avoir signé pour accueillir chez eux des éoliennes, au point que dans une municipalité le conseil est devenu non fonctionnel puisque la majorité des conseillers est dans cette situation.

Quand on voit des municipalités qui n’auront aucune éolienne dans leur territoire, mais en toucheront quand même les bénéfices, se faire les propagandistes inconditionnels du projet.

Quand on voit la MRC affirmer qu’elle appuiera le projet alors qu’aucun vote des municipalités locales n’a encore eu lieu pour donner cet aval.

Quand on voit qu’une municipalité, par sa population plus nombreuse, est en mesure d’imposer ses choix et sa vision du développement, on se dit, avec Shakespeare, qu’il y a quelque chose de pourri au royaume….

Il ne reste donc qu’à féliciter les citoyens qui s’opposent à donner un consentement à un tel projet alors qu’on leur demande de signer les yeux fermés, sans information complète et crédible.

La vision obsolète et dépassée de la démocratie où les élu.e.s représentent à eux seuls la légitimité démocratique et qu’ils peuvent décider à peu près de tout sans la participation active des citoyens est incompatible avec les exigences constitutionnelles de le la liberté d’expression et du droit du public à l’information qui en découle.

Le tout humblement soumis,

Richard E. Langelier,
Docteur en droit (LL.D.) et sociologue.

Saint-Bonaventure, le 22 juillet 2023


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Commentaires

Une réponse à “De la démocratie en Nicolet-Yamaska”

  1. Avatar de Louise Morand
    Louise Morand

    Merci à Richard Langelier pour ce texte éclairant et cet appel à la démocratie.

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